Evaluation de titres par un expert : une société n’a pas à fournir des pièces qu’elle ne détient pas

Dans le cadre d’une expertise visant à évaluer des titres détenus dans une société, il ne peut pas être ordonné à celle-ci de produire des pièces dont il n’est pas prouvé qu’elle pouvait vraisemblablement les détenir.

Une société par actions simplifiée (SAS) est à la tête d’un réseau de pharmacies, auxquelles elle fournit des prestations de services. Son capital est détenu en majorité par des sociétés exploitant des pharmacies adhérentes à ce réseau. L’une de ces sociétés, après avoir obtenu en justice la désignation d’un expert chargé d’évaluer les titres qu’elle détient dans la SAS, demande au juge des référés d’ordonner à cette dernière de communiquer à l’expert certaines pièces, dont le détail du chiffre d’affaires des pharmacies du réseau.

Une cour d’appel fait droit à cette demande, en retenant que la SAS ne démontre pas que la communication du document litigieux mettrait en cause le secret des affaires et serait illégitime. La Cour de cassation censure cette décision : la SAS faisait valoir que la pièce n’existait pas et qu’en tout état de cause elle ne la détenait pas ; la cour d’appel aurait donc dû rechercher si la société qui en demandait communication prouvait que l’existence de la pièce était, sinon établie, au moins vraisemblable et, le cas échéant, qu’elle était détenue ou pouvait être détenue par la SAS, cette preuve lui incombant.

À noter

Le juge peut, à la requête de l’une des parties, demander ou ordonner, au besoin sous astreinte, la production de tout élément de preuve détenu par l’autre partie, ou de tous documents détenus par des tiers s’il n’existe pas d’empêchement légitime (CPC art. 11, al. 2). Cela vaut notamment en matière de mesures d’instruction dites « préventives » ou « in futurum » envisagées à l’article 145 du Code de procédure civile.

Si la Cour de cassation a pu dire par le passé que ce pouvoir n’était limité que par l’existence d’un motif légitime tenant soit au respect de la vie privée, sauf si la mesure se révélait nécessaire à la protection des droits et libertés d’autrui, soit au secret professionnel (Cass.  1e civ. 21-7-1987 n° 85-16.436), elle a récemment complété sa jurisprudence.

Elle pose ainsi désormais en principe que les mesures d’instruction doivent être circonscrites dans le temps, dans leur objet et proportionnées à l’objectif poursuivi (Cass. 2e civ. 24-3-2022 no 20-21.925 ; Cass. com. 28-6-2023 no 22-11.752). Jugé par ailleurs, dans le cadre d’une expertise visant à estimer un préjudice avant un procès, que le juge des référés ne pouvait pas ordonner à une société de produire une pièce qu’elle ne détenait pas, en l’espèce une situation comptable en cours d’exercice qu’elle n’était pas tenue d’établir en vertu de la loi (Cass. com. 27-9-2023 no 21-21.995). Dans l’arrêt commenté, la Cour applique cette solution dans le cadre de l’expertise visant à déterminer la valeur de droits sociaux, prévue à l’article 1843-4 du Code civil.

Cette disposition prévoit en effet le recours à une expertise pour fixer, en cas de contestation, le prix de cession des droits sociaux détenus par un associé ou du rachat de ceux-ci par la société lorsque :

-                    la loi renvoie à ce texte pour la cession ou le rachat ; l’expert doit alors fixer le prix selon les modalités prévues par les statuts de la société ou les conventions liant les parties si elles existent ;

-                    les statuts prévoient cette cession ou ce rachat sans que la valeur des titres soit déterminée ou déterminable, l’expert étant tenu de respecter les modalités conventionnelles de détermination du prix s’il en existe.

 

Cass. com. 8-11-2023 no 22-13.14.

© Lefebvre Dalloz

 

 

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